Au XIXe siècle, la notion de divertissement prend un tournant décisif, propulsée par les révolutions industrielles et technologiques qui marquent cette époque. L’industrialisation, avec ses avancées dans la production de masse, bouleverse non seulement l’économie, mais aussi la façon dont les gens consomment et produisent du contenu culturel. C’est à cette époque que l’industrie médiatique naît sous des formes encore rudimentaires, mais qui jetteront les bases des spectacles modernes que nous connaissons aujourd’hui.
La presse, la littérature, le théâtre et même le cirque se transforment en instruments de divertissement à la fois populaires et accessibles à un large public, ce qui changera à jamais la manière dont les gens s’évadent et se divertissent.
L’une des manifestations les plus marquantes du divertissement médiatique au XIXe siècle est l’apparition des feuilletons littéraires dans les journaux. Le feuilleton devient rapidement un phénomène de masse, permettant à des auteurs de toucher un large public. Ces récits, souvent publiés en plusieurs parties dans les journaux, offrent une forme de divertissement régulière et captivante pour des millions de lecteurs, d’un mois à l’autre, d’une semaine à l’autre, entretenant le suspense et l’intérêt.
Les premiers à en profiter sont des écrivains comme Charles Dickens, qui, dès 1836, commence à publier ses romans sous forme de feuilletons dans des journaux tels que The Monthly Magazine ou The Pickwick Papers. Ce format, qui permet de diffuser un récit par petites doses, répond à une demande croissante de culture accessible, une culture capable de rivaliser avec les loisirs plus immédiats comme les spectacles publics. En 1837, c’est le tour d’Oliver Twist, l’un des romans les plus célèbres de Dickens, qui paraît sous forme de feuilleton. L’histoire de l’orphelin anglais confronté aux dures réalités de la vie dans les bas-fonds de Londres capte l’imagination d’un large public, tout en abordant des thèmes sociaux et moraux qui résonnent profondément avec les préoccupations de l’époque. Grâce à la publication en feuilleton, Dickens atteint un public diversifié, allant des classes populaires aux plus aisées, car ces publications restent accessibles à tous, y compris à ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter un roman complet.
Les feuilletons ne se limitent pas à Dickens. Des écrivains comme Wilkie Collins et George Eliot exploitent également ce format, et le phénomène gagne de plus en plus de terrain à travers l’Europe. Les récits en feuilletons vont au-delà des simples histoires d’aventures et de meurtres, intégrant des dimensions sociales et politiques qui parlent des préoccupations de l’époque, comme les injustices sociales, les inégalités, et les conditions de vie des plus démunis. Ils deviennent ainsi des vecteurs de réflexion, tout en offrant une forme de divertissement accessible et populaire.
Les feuilletons vont également jouer un rôle fondamental dans la démocratisation de la littérature, car ils permettent à de nombreux auteurs de se faire connaître en publiant des récits qui captivent un large public. Le format feuilleton devient ainsi un précurseur de l’industrie médiatique telle que nous la connaissons aujourd’hui, où les médias jouent un rôle crucial dans la diffusion de contenus populaires et la construction de l’imaginaire collectif.
La littérature de cette époque, tout particulièrement les romans, contribue également à l’émergence de l’industrie du divertissement en donnant naissance à de nouveaux genres, qui ne sont pas seulement destinés à l’élite mais aussi à un public plus large. Mary Shelley, avec son Frankenstein (1818), incarne cette effervescence créative, en mêlant les genres de la science-fiction, du gothique et du roman d’horreur. Son œuvre, influencée par la révolution scientifique de l’époque, explore des thèmes comme la création, la souffrance et la monstruosité, tout en posant des questions sur les limites de la science et la moralité humaine. Ce roman ne se contente pas de divertir, il ouvre également un dialogue profond sur les implications éthiques de la science.
Plus tard, Arthur Conan Doyle transformera à son tour la littérature populaire avec ses célèbres enquêtes de Sherlock Holmes, dont le premier récit, A Study in Scarlet (1887), fait sa première apparition dans les pages d’un magazine. Ces histoires de détectives, qui captivent instantanément les lecteurs, marquent l’émergence du genre policier, une autre branche du divertissement littéraire qui connaîtra une popularité sans précédent au XXe siècle. Le personnage de Sherlock Holmes, avec son esprit brillant et sa capacité à résoudre les mystères les plus complexes, incarne un archétype devenu emblématique dans la culture populaire. Les aventures de Holmes font partie de cette grande vague de divertissement littéraire qui mêle intrigue, suspense et réflexion intellectuelle.
À côté des romans populaires, l’émergence des premières formes de science-fiction et de romans d’aventure incarne une rupture avec les récits classiques du XVIIIe siècle. Les lecteurs ne se contentent plus de fables ou de tragédies, mais explorent désormais des mondes imaginaires où le fantastique, le surnaturel et l’inconnu deviennent des éléments centraux de la narration. Des auteurs comme Jules Verne et H.G. Wells contribueront à cette dynamique dans la seconde moitié du XIXe siècle, créant des univers où l’imagination des lecteurs peut s’épanouir. Ces récits, qui allient exploration scientifique et aventure, captivent aussi bien les jeunes que les adultes et deviennent une composante essentielle de la culture populaire naissante.
En parallèle à la littérature, un autre phénomène de divertissement émerge au XIXe siècle : le cirque. Né en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, le cirque connaît un essor spectaculaire au XIXe siècle, notamment grâce à des personnages comme Philip Astley, qui fonde le premier cirque moderne à Londres en 1768. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que le cirque devient une véritable institution, qui conquiert l’Europe et les États-Unis, notamment avec la création des cirques Barnum et Bailey en Amérique.
Le cirque incarne parfaitement les changements sociaux et économiques de l’époque. Les grandes villes industrielles, en pleine expansion, voient affluer des foules en quête de divertissement bon marché et accessible. Les spectacles de cirque, avec leurs numéros d’acrobates, de clowns, de dompteurs et de chevaux, offrent une évasion spectaculaire et sans prétention. Le cirque devient un lieu où les classes populaires, comme les ouvriers et les paysans, peuvent se divertir sans se ruiner. Ces spectacles sont un moyen de se détendre après une journée de travail ardu, mais ils sont aussi le reflet d’une époque où la culture de masse commence à prendre forme.
Le XIXe siècle marque donc le début de l’ère médiatique, avec l’essor des feuilletons, de la littérature populaire, du cirque et des divertissements de masse. Ces nouveaux genres, nés dans une époque en pleine transformation industrielle et sociale, transforment en profondeur la manière dont le public se divertit. Ces divertissements sont devenus des éléments constitutifs d’une culture populaire, accessible à un public de plus en plus large, et annoncent les formes de consommation culturelle qui domineront le XXe siècle.
Le développement des médias écrits et des spectacles vivants est une réponse directe à l’industrialisation et à l’urbanisation croissantes des sociétés européennes et américaines. À l’aube du XXe siècle, ces formes de divertissement seront les pierres angulaires d’une nouvelle industrie, celle qui, grâce aux progrès technologiques, fera naître les premiers médias de masse modernes, comme la radio, la télévision et, plus tard, les plateformes numériques.
C’est ainsi que le XIXe siècle, avec sa richesse en termes de créativité et de diversification des formes de divertissement, jette les bases de l’industrie médiatique contemporaine. Les innovations culturelles de cette époque résonnent encore aujourd’hui, dans un monde où la culture populaire reste omniprésente et où les divertissements prennent des formes que les pionniers du XIXe siècle n’auraient jamais pu imaginer.